FAUT-IL APPRENDRE LA THÉORIE MUSICALE ?

Nécessaire ? Indispensable ? Inutile ? Difficile ? Accessible ? Rébarbative ? Chiante à mourir ? Et vous ? Que vous évoque la théorie musicale ?
Pourquoi des légions de musiciens en herbe abandonnent chaque année à cause d’elle ? Pourquoi des guitaristes expérimentés avec 10 ans de pratique n’y ont quasiment jamais mis les pieds ?
J’ai moi-même longtemps bataillé avec le sujet, et je souhaiterais aujourd’hui vous en parler en détails. C’est un sujet de fond qui fait souvent débat chez les musiciens, et surtout chez les guitaristes, alors j’avais particulièrement à cœur de vous donner mon avis sur la question.
Pour ceux qui préfèrent la version vidéo plus courte, c’est ici.
Apprendre la théorie musicale n’est pas une évidence pour tout le monde
Tout d’abord, soulignons le fait que si la question se pose (faut-il apprendre la théorie musicale), c’est que, du moins pour les guitaristes, ça n’est pas une évidence.
En effet, la guitare a ceci de particulier qu’on peut apprendre à en jouer sans savoir lire la musique. Grâce aux tablatures, n’importe qui peut savoir où placer ses doigts et se reposer sur ses oreilles et les logiciels de lecture de partition (type guitar pro) pour comprendre comment jouer le rythme.
De même, le guitariste peut apprendre des tonnes de gammes, d’accords et de renversements grâce à des schémas appris par cœur sans avoir besoin de comprendre les notes et les intervalles qui les constituent car la guitare a ceci de singulier qu’on peut retrouver sur son manche des positions et des patterns aisément transposables. Par exemple, à la guitare, le doigté est le même que vous fassiez une gamme de C majeur ou de D majeur.
En revanche cela n’est pas possible pour d’autres instrumentistes. Prenez les vents par exemple, et bien vous constaterez que tous les clarinettistes, saxophonistes et autres trompettistes sont obligés de connaitre les notes qu’ils jouent pour pouvoir retrouver leurs gammes tout simplement parce que les doigtés sont parfois différents entre les tonalités. De même pour apprendre des partitions, ils ne bénéficient pas de tablature et ils doivent savoir lire la musique.
Le constat étant fait qu’il n’y a pas besoin à priori de théorie musicale pour jouer de la guitare, pourquoi donc se pose-t-on la question ?
Puisque la théorie musicale n’est pas indispensable pour le guitariste, pourquoi se pose-t-on la question ?
Pour répondre à cette question, je voudrais faire un parallèle avec l’apprentissage linguistique. La musique est comme une langue, avec son alphabet, ses règles de conjugaison, d’orthographe et de grammaire.
Lorsque petit vous apprenez à parler votre langue maternelle, vous apprenez par la pratique et le mimétisme. Vous commencez à reconnaitre des mots, à en comprendre le sens, et au fur et mesure que votre vocabulaire s’étoffe, vous commencez à poser des questions, vous demandez « pourquoi ? », et cela vous permet de comprendre encore plus de mots et d’expressions.
Et ce n’est finalement qu’au CP que vous commencez à apprendre l’alphabet, puis les règles de conjugaison et de grammaire.
Alors, avec la lecture, le dialogue, et l’expérience, votre français s’améliore et vous pouvez exprimer des idées et des sentiments de plus en plus complexes. Certains pousseront l’étude du langage plus en avant et l’utiliseront comme fer de lance de leur métier.
Que ce soit l’avocat qui défende son client, le politicien qui persuade l’auditoire, le romancier qui emmène ses lecteurs dans un autre univers, le marketeur qui vende, tous ont un commun : une maitrise du langage qui a été acquise par un travail orienté pour servir un but.
Lorsque vous êtes au stade du guitariste qui a tout appris par mimétisme, par cœur, et par positions, vous êtes comme une personne qui a appris à parler une langue uniquement par la pratique.
Peut-être que vous pouvez soutenir une conversation tout à fait normale, avec quelques fautes de syntaxe par-ci par là qui peuvent même donner un côté touchant et exotique à votre personnalité, mais vous ne soutiendrez peut-être pas un débat d’idées avancé structuré pas plus que vous n’écrirez un roman dans cette langue que vous ne savez peut-être même pas encore comment écrire.
Bien sûr cette comparaison a ses limites. Il existe de grands musiciens qui ont révolutionné l’histoire de la musique sans avoir de grandes connaissances théoriques. On pourra toujours citer Jimi Hendrix par exemple, mais n’oublions pas que Jimi savait s’exprimer surtout dans un style particulier et qu’il n’aurait peut-être pas pu communiquer aussi aisément dans d’autres styles.
Mais là est pour moi le point important, c’est qu’apprendre la théorie musicale peut vous ouvrir des horizons inconnus et vous permettre de mieux vous exprimer musicalement.
Que vous apporterait concrètement la connaissance de la théorie musicale en tant que guitariste ?
Connaitre la théorie musicale, c’est dépasser votre statut de guitariste pour embrasser celui de musicien. Une fois que vous connaissez le langage et ses règles, vous les connaissez pour n’importe quel instrument.
Par exemple, le mode Dorien est strictement le même pour un guitariste que pour un pianiste ou un clarinettiste (à condition de faire les transpositions nécessaires pour ce dernier).
Connaitre la théorie musicale, c’est également être en capacité d’analyser pour reproduire.
Imaginez un instant. Si vous maitrisez les règles de la musique, alors vous pouvez analyser et comprendre ce qu’ont fait d’autres musiciens avant vous. Et si vous comprenez comment ils ont fait, alors vous avez vous-même de sérieuses pistes pour faire des choses similaires et y ajouter votre touche personnelle.
Vous aurez également un vocabulaire plus riche pour décrire ce que vous ressentez et communiquer efficacement avec d’autres musiciens.
Certains objecteront que la théorie musicale pourrait enfermer ceux qui l’ont apprise dans des carcans trop conventionnels et brider leur créativité. L’objection n’est pas infondée et on connait le cas d’étudiants en composition qui se retrouvent bloqués lorsqu’il s’agit d’écrire sous prétexte que ce qu’ils composent est à leurs yeux toujours moins bien que ce qu’ont fait les grands compositeurs classiques dans le temps. J’ai déjà entendu ça quelque part.
Les objecteurs nous disent alors qu’ils préfèrent composer à l’instinct et s’en remettre uniquement à leur feeling.
A mon humble avis, le problème ici n’est pas la théorie musicale en soit mais plutôt la façon dont elle est sacralisée par certains. Voici à mon avis pourquoi.
La théorie pour la théorie ne sert à rien
La théorie musicale est d’une logique mathématique implacable. C’est d’ailleurs pour ça que des robots peuvent « composer » de la musique et qu’il existe en ce moment des projets de recherche en IA pour la création de musique par des machines.
Mais pour l’instant sans l’émotion et la vision de l’artiste comme moteur de la composition, la théorie musicale n’est pas grand chose d’autre qu’un ensemble de règles. Un ensemble de règles qui une fois maitrisées peuvent être dépassées ou détournées.
Je n’ai pas dit qu’il était indispensable de connaitre les règles d’harmonie pour composer, mais c’est clairement un outil remarquable pour explorer et expérimenter.
En bref, composer ou improviser sans connaissances en théorie musicale, c’est comme explorer un monde sans carte. Vous pouvez le faire, mais vous risquez de vous y perdre ou de mettre des années avant de faire des connexions entre certains lieux.
La théorie musicale doit donc être une boussole ou une carte : un outil qui vous aide à comprendre le code de la musique et à jouer avec.
Alors maintenant qu’on a vu les enjeux autour de la théorie musicale, je voudrais répondre plus concrètement à la question de départ en précisant qu’il y a plusieurs niveaux de connaissance de la théorie musicale qui correspondent chacun à des besoins différents.
Les différents niveaux d’apprentissage de la théorie musicale
La théorie musicale regroupe à la fois le solfège et l’harmonie. Le premier s’occupe des règles d’écriture et de lecture de partitions tandis que le second s’intéresse aux rapports des sons entre eux. En fonction de votre niveau et de vos objectifs, il n’est pas nécessaire d’étudier la totalité de la théorie musicale.
Voyons maintenant les différents cas de figure et ce que je vous propose pour chaque cas.
Cas 1 : vous débutez totalement
Pour les débutants complets, je pense qu’il faut commencer par se faire plaisir, dépasser les premiers blocages techniques et obtenir ses premières victoires avec quelques morceaux avant de commencer à se poser la question de la théorie.
Si on commence tout de suite avec la théorie à ce stade, on ajoute trop de complexité et l’apprentissage devient une montagne pour l’élève qui risque de se décourager. Et je pense que c’est la raison pour laquelle tellement de personnes arrêtent en cours de route dégoûtées de la musique.
Cependant, lorsque mes élèves débutants réussissent à passer leurs premiers accords et à jouer leurs premiers titre à peu prêt, je les emmène tout de même assez vite vers le solfège rythmique (la lecture de rythmes).
On reste donc avec des tablatures et je ne les embête pas avec les notes, mais on lit les rythmes de la notation standard au-dessus. En effet, la tablature permet de vous affranchir de la lecture de notes, mais sans connaissance du solfège rythmique, comment jouer efficacement les rythmes avec précision ?

Tablature et notation standard
Bien sûr l’écoute de votre logiciel de partition peut vous aider mais vous allez mettre beaucoup plus de temps et prendre de bien mauvaises habitudes que vous éviteriez avec le solfège rythmique.
La connaissance du solfège rythmique est surtout nécessaire pour comprendre la notion de débit, essentiel pour la main droite et pour savoir où placer ses coups de mediator (en haut ou en bas).
J’ajouterai enfin qu’il ne faut pas vous faire une montagne du solfège rythmique car pour ce qui concerne les morceaux de niveau débutant ou intermédiaires, ce n’est vraiment pas long à apprendre et vous pouvez le faire à n’importe quel âge.
Si vous êtes dans cette catégorie, apprenez donc au moins à lire les rythmes et laissez tomber le reste !
Cas 2 : vous souhaitez uniquement jouer des reprises dans votre chambre
Dans ce cas là, en plus du solfège rythmique, je vous conseillerai fortement
- d’apprendre les intervalles
- la construction des accords
- les tonalités et les progressions d’accords
Pourquoi je vous conseille ça. Si vous accompagnez une chanteuse par exemple, il va arriver que parfois la chanteuse devra chanter dans une autre tonalité que celle dans laquelle vous avez appris le morceau tout simplement à cause de ses capacités vocales.
Si vous savez transposer, vous pourrez vous adapter facilement. Et pour ça c’est très utile de comprendre les progressions d’accords.
Ensuite il est bon de connaitre la construction des accords car vous saurez ensuite jouer les accords de dizaines de façons différentes, ce qui vous sera utile en fonction du contexte. Pour une même chanson, si vous jouez tout seul sur une plage, vous ne ferez pas les accords de la même façon que si vous jouez en groupe.
Savoir jouer différentes triades et renversements vous permettra donc de jongler et de vous adapter à la situation.
Et puis tout simplement pour le plaisir de comprendre un minimum ce que vous faites et de ne pas passer des années à jouer des choses sans pouvoir les expliquer et donc les reproduire de façon un peu différentes.
Cas 3 : vous souhaitez improviser et composer
Alors là vous n’avez pas le choix c’est la complète œuf-jambon-fromage ! Donc en plus du solfège rythmique, je vous conseillerai également d’apprendre à lire et écrire les notes, et au-delà des intervalles, de la construction des accords et des progressions, je vous dirai d’aller explorer
- les tonalités voisines (le cycle des quintes)
- les modes,
- les substitution diatoniques et tritoniques.
Bien sûr que vous pouvez improviser et composer sans. Mais ça serait un peu comme réinventer la roue. Par exemple si vous êtes scientifique et que vous voulez découvrir une nouvelle théorie, vous n’allez pas réinventer toute la science. Vous allez vous servir de l’état de l’art, de l’existant pour avancer.
Et bien en musique c’est pareil. La théorie si vous l’utilisez à bon escient ne vas pas vous brider. Elle va vous aider à prospecter.
Plus tôt vous apprendrez les règles d’harmonie, plus vite vous pourrez commencer sérieusement le voyage et explorer les recoins du monde de la musique tout au long de votre vie.
Conclusion
Pour terminer ce long article, je dirai que l’apprentissage de la théorie musicale dépends de votre niveau et de vos objectifs.
Au-delà de tout ce que j’ai pu dire, posez vous la question :
- à quel point la guitare et la musique sont importants pour vous ?
- Êtes-vous parti pour pratiquer longtemps ?
Si c’est le cas, mon dernier conseil sera de vous lancer. Allez-y, dépassez vos appréhensions, prenez tout votre temps et commencez le voyage.
Sur le long terme, connaitre la théorie musicale pour la mettre au service de vos émotions est un sacré bon vecteur d’épanouissement. Ça vaut le coup !
Il n’est jamais trop tard, et vous avez toujours l’âge pour le faire. Le truc c’est que vous ne savez généralement pas par où commencer et que vous vous noyez dans des recherches infructueuses qui vous démoralisent. Vous avez l’impression que vous n’avez pas le cerveau à l’endroit et que vous n’avez pas les capacités pour comprendre tout ça.
Rassurez-vous c’est faux. C’est simplement que sans guide, on se perds dans ce monde là.
Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager autour de vous, ça me permet de faire connaitre mon travail et c’est une question qui peut intéresser beaucoup de musiciens.
Si vous avez envie de réagir de manière constructive, n’hésitez pas à partager avec nous vos idées dans les commentaires ci-dessous.
Sur ce je vous dit à bientôt !
Sam.